Parce que nous vivons sur la Côte d’Azur et parce que nous côtoyons de près, saison après saison, le flot touristique estival et la perte d’activités hivernales, nous connaissons bien l’ambivalence qui se joue sur un territoire comme celui de Bonifacio.
Il est certain que le tourisme, par son pouvoir économique, est l’un des grands transformateurs contemporains des territoires – si ce n’est le plus puissant. Dans un futur proche, il ne serait pas étonnant que l’on compare le tourisme aux grandes transformations réalisées lors de l’industrialisation du XIXe siècle. Nous savons égale- ment que, bien souvent, la grande problématique de ces villes ayant une sur-fréquentation estivale est la perte d’appropriation de la part de leurs habitants.
Le tourisme permet souvent l’évolution d’un territoire, l’amélioration économique d’une ville, le développement des infrastructures et l’enrichissement des habitants qui apprennent à maitriser cette nouvelle économie. Mais le tourisme implique aussi une relation client/ servant qui produit une marchandisation des villes au pro t d’un consumérisme touristique de plus en plus exigeant. Avec le temps, on observe chez les habitants une perte de repères sur ce qui était l’essence du lieu avant l’avènement touristique. Les coutumes se perdent, les histoires s’oublient jusqu’à ce que l’on créé des facsimilés sans saveurs des territoires d’autrefois… pour répondre à la demande touristique d’authenticité.
Le territoire de Bonifacio est rare.
C’est un point stratégique sur la Méditerranée, avec une localisation unique au sein d’un patrimoine paysager d’exception. L’inscription de la ville à cet endroit, dans un paysage aussi rocheux a été une performance. C’est la démonstration d’une capacité à pouvoir défier l’élément naturel afin de s’approprier l’un des sites les plus singuliers de l’île. Bonifacio est une prouesse dans l’histoire de la Corse.
C’est un territoire qui ne s’est pas laissé apprivoisé si facilement. Le visiteur imagine peu la dif culté de s’y installer, d’en transformer les contours et d’en faire naître une citadelle et un port. Ne serait-ce que l’eau potable qu’il fallait cher- cher au pied de l’escalier du roi d’Aragon…
Bonifacio n’a pas dû être facile à vivre pour ses habitants ; et c’est très certainement de là que ressort toute la force de son caractère !
Mais aujourd’hui, qu’en est-il pour le voyageur qui prend son vol, atterrissant à Figari, louant sa voiture depuis l’aéroport et s’installant, trente minutes plus tard, à la table d’un restaurant ou sur l’une des plages paradisiaques qui côtoient Bonifacio ?
Les touristes ont tendance à consommer avec facilité les territoires, en tentant d’accumuler, de voyages en voyages, des expériences. Mais, comme nous avons pu le constater de nombreuses fois, l’expérience du voyageur se résume trop souvent à la qualité de service, à la facilité d’accès, ou au prix du séjour… Tous ces éléments qui finalement n’expriment en rien l’essence du lieu.
Comment alors offrir aux visiteurs une approche plus « Bonifacienne» ? Et si l’exercice de la résidence permettait non seule- ment de parler de ses habitants, mais également de faire que les touristes repartent avec une idée beaucoup plus réaliste de ce que peut être la ville ?
C’est un territoire qui a été façonné par le rapport entre mer et roches, entre faune, flore et habitants. Un équilibre assez fin s’est constitué entre ces différents acteurs, et il semble que ce soit ce rapport qu’il pourrait être intéressant de présenter et de questionner.